18 décembre, 2017 L’hyperphagie : comprendre et s’en sortir
Qu’est-ce que l’hyperphagie?
L’hyperphagie, parfois appelée hyperphagie boulimique, est un trouble des conduites alimentaires. Elle se caractérise par des pertes de contrôle, comme des crises ou des rages alimentaires impossibles à maîtriser. Contrairement à la boulimie, les épisodes de pulsions alimentaires ne sont pas suivis de comportements compensatoires. Par exemple, les vomissements, la prise de laxatifs ou l’exercice physique.
Certaines personnes attribuent ces crises alimentaires à un manque de volonté. Bien au contraire, ayant beaucoup de volonté, la personne adhère à des régimes ou « fait attention à ce qu’elle mange ». Puis, ces régimes ou cette tendance à « faire attention » entrainent un cercle vicieux de restriction et de rages de bouffe. Les pertes de contrôle alimentaires se succèdent. La honte, le dégoût, la culpabilité et les frustrations s’installent petit à petit. La personne ayant un trouble d’hyperphagie boulimique devient exténuée. En fait, elle est fatiguée de vivre avec une préoccupation omniprésente pour la nourriture.
Qui est touché par l’hyperphagie?
- L’hyperphagie est le trouble alimentaire le plus fréquent.
- Contrairement aux autres troubles alimentaires comme l’anorexie ou la boulimie, l’hyperphagie est mieux distribuée parmi les sexes. La prévalence de l’hyperphagie est de 3,5 % chez la femme et de 2 % chez l’homme [1]. Autrement dit, près de deux millions de Canadiens seront touchés par l’hyperphagie au cours de leur vie.
- Parmi les personnes qui consultent pour un trouble alimentaire, celles atteintes par l’hyperphagie sont généralement plus âgées. Au moment de consulter, elles sont souvent dans la quarantaine.
Identifier l’hyperphagie
Afin d’établir le diagnostic de l’hyperphagie, les spécialistes utilisent les critères du Diagnostic and statistical manual of mental disorder-V (DSM-5TM) [2]. Ce manuel est un grand répertoire des troubles psychiatriques. Pourtant, ce n’est que dans la dernière version publiée en 2013 que l’hyperphagie fut reconnue comme un trouble alimentaire. Les critères diagnostiques sont les suivants :
A. Épisodes récurrents de crises de boulimie. Une crise de boulimie correspond aux deux éléments suivants :
- Au cours d’une période de temps limitée, manger une quantité importante de nourriture. Cette quantité est définitivement plus importante que ce que la majorité des gens consommeraient dans des circonstances similaires.
- Un sentiment de perte de contrôle. Par exemple, un sentiment d’incapacité à arrêter de manger. Il peut aussi s’agir d’une incapacité à contrôler le type de nourriture et la quantité ingérée.
B. Les crises de boulimie sont associées à au moins trois des éléments suivants
- Manger beaucoup plus rapidement qu’à la normale.
- Manger jusqu’à se sentir inconfortablement plein.
- Manger une grande quantité en l’absence de signaux physiques de faim.
- Manger seul parce que la personne est embarrassée de la quantité ingérée.
- Se sentir dégoûté, déprimé ou très coupable après avoir mangé.
C. Les crises de boulimie sont une source de détresse.
D. Les crises de boulimie surviennent en moyenne au moins une fois par semaine, depuis trois mois.
E. Les crises de boulimie ne sont pas associées à des comportements compensatoires tels que des vomissements, une prise de laxatifs ou de l’exercice physique intensif. Les crises ne surviennent donc pas au cours d’un trouble d’anorexie ou de boulimie.
Quelles sont les conséquences ?
L’hyperphagie boulimique peut avoir d’importantes conséquences sur la santé. Les années d’alternance entre la restriction et les rages alimentaires se font ressentir. Bien souvent, celles-ci mènent à un gain de poids ou au surpoids. La personne est donc plus à risque d’avoir des problèmes comme l’hypertension, le cholestérol, le diabète ou des maladies cardiaques.
L’hyperphagie est aussi associée à des conséquences psychologiques. Elle a une influence négative sur l’estime de soi. À son tour, cette mauvaise estime peut nuire aux relations sociales et à la sphère sexuelle. L’hyperphagie est également reliée à l’anxiété, à la dépression et à l’abus de substances. Plusieurs personnes ayant un trouble d’hyperphagie rapportent aussi être très préoccupées par la nourriture et leur corps.
Quels sont les traitements de l’hyperphagie ?
L’hyperphagie est un trouble ayant des composantes génétiques, environnementales et psychologiques. Il est important de prendre conscience de cette complexité du trouble afin de se déculpabiliser. En effet, cette culpabilité peut elle-même déclencher des crises alimentaires.
Les clients comparent souvent l’hyperphagie boulimique à un trouble de dépendance, comme la dépendance à l’alcool par exemple. Toutefois, contrairement aux autres dépendances, il n’est pas possible d’éviter la nourriture. Le traitement vise donc à développer un rapport sain avec l’alimentation, qui n’est pas strictement basé sur les émotions. Les personnes ayant un trouble d’hyperphagie ont souvent un tempérament impulsif et une difficulté à gérer leurs émotions. C’est ce qui explique l’expression « manger ses émotions ».
Certains médicaments s’avèrent efficaces pour traiter les symptômes. Cependant, la médication doit être considérée comme un complément à la psychothérapie. L’hyperphagie est un trouble qui se traite et la psychothérapie demeure le traitement de choix.
Cela peut sembler surprenant, mais bien souvent, les séances de psychothérapie abordent peu la nourriture. Pourquoi? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un trouble qui va bien au-delà du contenu de l’assiette.
Écrit par Dre Marie-Eve Turgeon, psychologue
Références
- Hudson, J. I., et al. (2007).The prevalence and correlates of eating disorders in the National Comorbidity Survey Replication. Biological Psychiatry, 61, 348-358. doi:10.1016/j.biopsych.2006.03.040
- American Psychiatric Association [APA]. 2013. Diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5th DSM-5. Washington, DC: Authors, 991 p.