Comment bien manger : les appétits spécifiques

Comment bien manger : les appétits spécifiques

À l’heure actuelle, que ce soit dans les discussions entre amis ou dans les médias, l’alimentation est un sujet qui a la cote. Des aliments sont catégorisés comme étant miraculeux, alors que d’autres comme étant nocifs pour la santé. Toutefois, la surmédiatisation de l’alimentation et le désir de bien manger ne sont pas sans conséquence. Ils favorisent des préoccupations par rapport au poids et à la santé ainsi qu’une culpabilité de manger les « mauvais » aliments. Contrairement à ce qui est attendu, cette volonté de bien manger et la montée de la médiatisation pourrait donc entrainer un effet délétère sur la santé. Comme l’écrit le Dr Zermati [1] : « Mangez pour le plaisir, la santé suivra. Mangez pour la santé, vous avez toutes les chances de perdre le plaisir et la santé avec. »

Manger pour le plaisir, c’est sensé. Mais pourquoi devrais-je écouter les envies de mon corps?

La recommandation de manger pour le plaisir peut susciter des réactions de méfiance. La personne peut avoir l’impression qu’en mangeant librement, elle compromettra sa santé. Pourtant, naturellement, ses envies ou ses « cravings » la guideront vers des aliments qui répondent aux besoins de son corps. Avez-vous déjà fait un voyage au cours duquel vous deviez éviter les fruits et les légumes frais? De quoi avez-vous eu envie lors de votre retour? Peut-être de croquer dans un poivron frais? La prise alimentaire est un processus complexe et repose sur des mécanismes biologiques très puissants. Ici, je n’en présenterai qu’un seul: celui des appétits spécifiques.

Que sont les appétits spécifiques?

Les appétits spécifiques décrivent ces moments dans lesquels nous ressentons, sans raison apparente, une envie de manger un aliment précis. Plus précisément, les appétits spécifiques expriment un attrait pour un aliment qui contient un nutriment dont notre corps a besoin [1]. Nous présumons choisir un aliment car il a bon goût, alors qu’en réalité, nous le choisissons de façon inconsciente car notre organisme nous l’exige [1]. Bien sûr, personne n’a conscience de manquer de tel ou tel nutriment : tout se fait naturellement.

En fait, notre organisme mémorise la composition chimique des aliments et lorsqu’il décèle une carence, il nous donne envie de l’aliment désigné pour répondre précisément à cette carence [1]. Cette mémorisation est effectuée grâce à l’intégration d’informations provenant de messages sensoriels, neuronaux et hormonaux. Ceux-ci sont déclenchés pendant la prise alimentaire, la digestion et la métabolisation des aliments. Par exemple, l’intestin est pourvu de capteurs qui évaluent la qualité des aliments, dont leur teneur en sucres, en protéines ou en graisses. Ces informations sont ensuite transmises au cerveau et participent au contrôle de la prise alimentaire à court et à long terme [2] en créant les appétits spécifiques.

Les conclusions des études sur les appétits spécifiques

La vitamine B est le premier nutriment pour lequel un appétit spécifique a été démontré [3]. Des rats soumis à un régime carencé en vitamine B optent instinctivement pour la nourriture enrichie de ce nutriment, dès qu’ils sont exposés à différents choix [3]. Depuis, plusieurs études scientifiques chez l’animal ont reproduit le phénomène des appétits spécifiques avec une variété de vitamines, de minéraux et d’acides aminés.

Des appétits spécifiques sont aussi observés chez l’humain, même si les connaissances scientifiques sont moins exhaustives que chez les animaux. Ainsi, chez des prisonniers sortant de camps de concentration, on observe une soudaine attirance pour les fruits (Le Magen, 1985; voir 4). Chez les personnes qui consomment un complément de magnésium, on observe une réduction de l’attirance pour le chocolat (Le Magen, 1985; voir 4). Il faut savoir que le chocolat est réputé pour sa teneur élevée en magnésium. Un appétit spécifique pour le calcium semble aussi exister chez l’humain [5,6]. Quelques études montrent que les apports en calcium sont plus élevés chez les femmes qui allaitent, comparativement à celles qui n’allaitent pas [5].

Les données actuelles sur les appétits spécifiques tendent vers l’hypothèse suivante : on prend plaisir et on développe une préférence pour les aliments qui fournissent au corps ce dont il a besoin.

Faire confiance à mon corps grâce aux appétits spécifiques

Je tiens toutefois à apporter une mise en garde sur les appétits spécifiques. Lorsque l’envie de manger certains aliments devient le moyen privilégié pour gérer ses émotions, il ne s’agit peut-être pas d’une réaction pour apaiser une carence physique du corps. Dans ce contexte, le comportement alimentaire peut plutôt être perturbé et caractéristique d’un trouble alimentaire. Bref, le courant médiatique en nutrition encourage la population à choisir des aliments en fonction des étiquettes nutritionnelles. Mais les données scientifiques sur les appétits spécifiques révèlent toutefois que l’on peut se laisser inspirer par ses propres envies : le corps lui-même sait ce dont il a besoin pour être en santé.

Écrit par Dre Marie-Eve Turgeon, psychologue

 

Références

  1. Zermati, J.-P. (2011). Maigrir sans régime. Paris: Odile Jacob.
  2. Martin, C., et al. (2010). Détection oro-sensorielle des lipides alimentaires: Impacts sur le comportement alimentaire et la santé. Innovations Agronomiques, 10, 81-93.
  3. Harris, L.J., et al. (1993). Appetite and choice of diet. The ability of the vitamin B deficient rat to discriminate between diets containing and lacking the vitamin. Royal Society Publishing, 113 (781), 161-190.
  4. Goyaux, D. (2013). Du cru au cuit : une histoire des conduites alimentaires dans la lignée Homo Du cuit au cru : une prospective sanitaire issue du passé (Unpublished master’s thesis). École Pratique des Hautes Études, Paris.
  5. Tordoff, M. G. (2001). Calcium: Taste, intake, and appetite. Psychological Reviews, 81 (4), 1567-1597.
  6. Major, G. C., et al. (2009). Calcium plus vitamin D supplementation and fat mass loss in female very low-calcium consumers: potential link with a calcium-specific appetite control. British Journal of Nutrition, 101, 659-663. doi: 10.1017/S0007114508030808

 



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